La recherche montre que nous avons tous un fort et perpétuel besoin d’estime de soi, c’est-à-dire de penser que nous avons de la valeur, que nous sommes aimés et approuvés. Les élèves n’échappent pas à ce besoin. En raison de l’importance accordée par la société, les parents ou les enseignants à la réussite scolaire, les élèves qui font face à des difficultés et échecs scolaires, voient leur estime d’eux-mêmes menacée.
Ces élèves risquent de penser qu’ils ne sont pas « quelqu’un de bien ». Il leur sera alors impérativement nécessaire de retrouver de la valeur et, pour cela, ils disposent de mécanismes psychologiques autoprotecteurs. Le gros problème, c’est que chacun de ces mécanismes va nuire à leur motivation autodéterminée, c’est-à-dire venant d’eux-mêmes. Un élève est motivé de manière autodéterminée lorsqu’il choisit librement d’accomplir une tâche scolaire, estime que réaliser cette tâche est intéressant, important et valorisant.
Plus sa motivation est autodéterminée, plus l’élève développera et maintiendra les efforts indispensables aux franchissements des difficultés inhérentes à tout apprentissage. Cette motivation est en quelque sorte l’énergie indispensable au maintien des efforts de l’élève, au dépassement de ses difficultés. La présentation de trois des mécanismes psychologiques autoprotecteurs va mettre en évidence leur impact délétère sur les efforts des élèves.
Le premier de ces mécanismes d’autoprotection est la comparaison sociale descendante. Lorsque l’élève est en difficulté sur une tâche scolaire ou vient d’échouer à cette dernière, s’il en a l’occasion, il choisira de se comparer à des élèves qui réussissent moins bien ou peinent plus que lui. Qui n’a pas annoncé une mauvaise note en citant le nom de camarades qui avaient eu pire !
Cette comparaison vers le bas préserve l’estime de soi et permet de se sentir bien. Le problème est que l’élève choisissant régulièrement des cibles de comparaison au-dessous de lui, va progressivement accorder moins d’intérêt et d’importance à ses apprentissages. Autrement dit, sa motivation autodéterminée diminue : il va se sentir autorisé à faire moins bien que sa performance actuelle. Son estime de soi est protégée mais ses difficultés scolaires vont s’accentuer.
Le deuxième mécanisme autoprotecteur est l’autohandicap comportemental. Il se produit lorsque l’élève anticipe un échec. Ce dernier va alors placer des obstacles (procrastination, diminution des efforts, abus de drogue ou d’alcool…) sur le chemin de sa performance. L’absence d’effort est ainsi un exemple fréquent d’obstacle ou d’autohandicap : l’élève arrive à un examen en n’ayant rien révisé.
Si l’échec anticipé a bien lieu, l’élève pourra l’expliquer par son manque d’effort, sa paresse (l’obstacle). Il évite ainsi la pire des explications pour son estime de soi : le manque d’intelligence. S’il réussit l’examen en dépit de l’obstacle, il se percevra et sera perçu comme très doué (il aura réussi sans effort !). Le problème est qu’à préférer passer régulièrement pour une personne paresseuse plutôt que pour une personne qui manquerait de capacités intellectuelles, l’élève accumule des lacunes.
Même s’il se remettait à faire les efforts nécessaires pour apprendre, cela ne se traduirait pas immédiatement par une réussite scolaire, donc menacerait de nouveau son estime de soi. Il est donc pris dans cet engrenage l’empêchant (inconsciemment) de développer une motivation autodéterminée source des efforts indispensables pour surmonter ses difficultés scolaires.
Le troisième mécanisme autoprotecteur est le désengagement psychologique qui consiste à déconsidérer durablement les domaines menaçants pour l’estime de soi. Un élève désengagé du domaine scolaire proclamera que l’école n’a pas d’importance pour lui, que faire des études ne l’a jamais intéressé. Or, l’élève qui se désengage psychologiquement de l’école (ou d’une matière en particulier) ne possède plus aucune motivation autodéterminée : il n’accorde ni intérêt, ni valeur, ni importance aux tâches scolaires, et n’a donc plus cette énergie nécessaire pour persévérer face aux difficultés. Ses difficultés scolaires ne font dès lors que s’accroître.
La terrible efficacité de ce mécanisme de désengagement est que la rupture psychologique avec l’école ou une matière particulière est souvent vécue comme un trait de personnalité, une caractéristique naturelle contre laquelle on ne peut pas lutter : « je n’aime pas l’école, car je suis plutôt manuel » ; « je n’aime pas les maths, car je n’ai pas l’esprit logique ».
La description de ces trois exemples de mécanismes d’autoprotection permet de comprendre que l’élève en échec, pour protéger son estime de soi, adopte des conduites qui ne feront qu’accentuer ses difficultés. Il est toutefois possible d’éviter que les élèves recourent à ses mécanismes d’autoprotection. Il faut pour cela les aider à considérer les difficultés, les erreurs et les échecs comme des étapes normales de tout apprentissage, afin qu’elles ne remettent pas en cause leur valeur.
Les travaux de Carol S.Dweck ont permis de montrer qu’il faut aider les élèves à réaliser que l’objectif à l’école est d’apprendre et non de réussir avant tout. Apprendre signifie se tromper. Dès lors, les situations d’échec sont dignes d’intérêt car les erreurs qu’elles contiennent peuvent aider à trouver une piste pour aboutir à la solution.
Si les erreurs sont perçues par les élèves comme faisant partie des processus d’apprentissage, ils comprendront que l’intelligence n’est pas une donnée fixée à l’avance et pour la vie, mais qu’elle est un potentiel à développer. Afin de favoriser cet état d’esprit de développement, il faut encourager la comparaison de l’élève avec lui-même, c’est-à-dire la comparaison temporelle, de soi aujourd’hui avec soi dans le passé.
Les comparaisons temporelles permettent aux élèves de prendre conscience des progrès (ou non) dans leurs apprentissages en comparant ce qu’ils savaient faire avant à ce qu’ils savent faire maintenant, progrès que les notes ne traduisent pas toujours. Par exemple, un élève peut avoir fait beaucoup d’effort pour améliorer son orthographe et faire moins de fautes, mais continuer d’avoir de mauvaises notes en dictée. Si l’élève constate qu’il n’a pas progressé, il faudra le guider pour qu’il comprenne pourquoi ses efforts ou stratégies d’apprentissage sont insuffisants ou mal adaptés.
En conclusion, si les élèves sont convaincus que leur intelligence est malléable, leurs erreurs inhérentes à l’apprentissage, ils auront moins peur d’échouer. Ils auront dès lors moins besoin de recourir aux mécanismes psychologiques de protection de l’estime de soi, tous délétères pour leur motivation autodéterminée, leurs efforts et leur persévérance.
Delphine Martinot, Professeure des Universités en Psychologie Sociale, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.